dimanche 14 août 2011

Sur la vague

Eclairage d’aquarium ni dehors ni dedans en flottaison entre deux eaux. La vague porte et déporte. Ouvre les yeux allongée sur le dos salée par l’eau chauffée par le soleil ma peau. Yeux qui peu à peu se décillent ne voir que le ciel immense et qu’une nappe liquide autour. Sens dessus dessous chercher à rétablir un équilibre perturbé par le balancement de l’eau. Corps dérivant écartez-vous mes doigts pour ressentir enfin le mouvement actif de la direction que l’on veut se donner après des temps immémoriaux d’immobilité assurant la survivance. Palpitez mes bras pour impulser l’avancée de ce corps flottant. Vibrer mes jambes pour maintenir à la surface ce corps inerte. Respirez mes poumons pour donner du lest. Petites foulées aquatiques pour atteindre cette longue plage de sable qui se dessine au coin de mon œil droit. Permanence de la vie qui résiste. Qui rêve de radeau. D’île. De sauvetage. S’échouer. Vibration qui parcourt le corps de la pointe extrême des orteils à celle de la racine des cheveux. Dans la fraîcheur du drap ouvert sortir de l’apnée. Dernier sursaut avant le réveil bouffée d’air zébrures lumineuses des persiennes striant l’espace du matin retrouvé. La nuit s’éloigne chargée de mystères enfouis. Refus de remonter à la surface. Seule la nageuse téméraire sortira de l’eau (de ses marécages).

Photo de mhaleph

mercredi 12 août 2009

Je marche dans l'herbe

Je marche dans l’herbe depuis un moment. Il fait encore chaud en cette fin d’après-midi d’été et l’herbe assoiffée crisse sous le vent. Par moment un oiseau, colombe ou palombe, passe au dessus de moi. Les odeurs où domine celle de la terre défilent au gré de mes pas. J’approche du fond du jardin. L’herbe y est plus sèche et je me méfie à chaque fois que j’en approche. Je ne veux pas le revoir sur mes plates-bandes, l’Autre. Tiens, le hérisson est passé par là la nuit dernière. Parfum de fleurs séchées
Je quitte le canapé où j’ai passé la nuit sur la Mezzanine. J’ai entendu quelque chose. C’est l’heure ou Elle se lève parfois certains jours. Si le moindre événement survient dans la maison c’est mon affaire. J’ai remarqué qu’Ils n’entendaient pas grand chose, Eux. Il faut descendre l’escalier en colimaçon au bois si sonore. Je n’ai pas à être trop silencieux. Je dévale les marches. Elle m’a vu et commence à moduler des bruits avec sa bouche. Elle a l’air amicale. Je m’approche pour frôler sa jambe et Elle me caresse la tête. Elle va sûrement me remplir la gamelle. Je ronronne
Texte de : El Gato

Photographie de mhaleph

mercredi 7 novembre 2007

Fragments de rêve

Marie-Lou a fait un drôle de rêve la nuit passée. Un de ces rêves hallucinés qui semblait n’avoir aucun sens.

Fragments de rêve pour une histoire :
Elle tape très très très vite. A une rapidité jamais égalée jusqu’ici. Elle sent bien que ses bras partent tout seuls et que ses mains ne lui obéissent plus. Elles sont connectées sans intermédiaire à son cerveau et en sont le prolongement direct. Elle tape à la vitesse de sa pensée. Fait unique, car elle se rend bien compte que c’est la première fois qu’elle arrive en temps réel à transcrire l’intégralité de ses cogitations sans rien en perdre. C’est une situation tout à fait extraordinaire qui la met dans un état de fébrilité intense et qui occulte tout autre événement. Elle se trouve dans un vieil entrepôt et son texte s’affiche directement sur le mur en face d’elle au fur et à mesure qu’elle le tape. La proportion des lettres est suffisante pour qu’elles puissent être lues de loin comme de près. Rien n’a été préparé d’avance, c’est vraiment du direct. Marie-Lou ne sait pas trop ce qu’elle doit en penser, mais elle est ravie d’être celle à qui cela arrive.
Quant à ce qui se déroule dans sa tête en ce moment, elle n’en saisit pas vraiment la cohérence, mais ce n’est pas si important : « Ils ne veulent pas reconnaître ni valider tous les mois qu’elle a passés à peindre sur sa poitrine. Jour après jour, elle a couvert patiemment sa chair de signes et de couleurs. Si peindre c’est brûler de l’intérieur, passionnément, comme elle le pense, alors autant enflammer sa propre chair transmuée en support éphémère. Rien à voir avec les tatouages qui misent eux sur la pérennité du motif. » Déplacement de l’objectif vers ce buste sur lequel sont peints dans une dominante rouge plusieurs tableaux miniatures qui représentent une suite logique d’événements. Ces peintures fragmentées elles aussi, comme ces bouts d’histoires, s’imposent d’elles-mêmes et s’emboîtent parfaitement.

Voilà, c’est tout ce qu’elle peut proposer en ce moment. Elle est sûre toutefois de pouvoir visualiser et exécuter sa pensée dans l’instantané – ce qui dépasse tout ce qu’elle avait espéré – tout au moins en rêve. Elle se découvre autre à cause de cette capacité exceptionnelle qu’elle ne se connaissait pas, mais qui restera son record onirique.


Composition numérique de mhaleph

Et après

La radio vient d’annoncer avec certitude que la fin était proche, à une heure indéterminée de la nuit, mais plutôt dans le périmètre de l’aube, du lever du jour froid et brumeux. Je ne réalise pas tout à fait ni avec exactitude ce que cette information peut vouloir dire. Cela viendra après. Pourtant je devrais réagir vite et bien puisque je vis, depuis pas mal de temps déjà, à une époque de grandes connaissances, aux prévisions fiables et toujours vérifiées jusqu’à présent.
Par exemple les poussières de météorites, que j’aime appeler poétiquement ou naïvement poussières d’étoiles, qui sont tombées comme annoncé il y a quelques mois en pleine chaleur estivale pour se combiner sournoisement à la moiteur permanente de nos peaux suintantes et qui ont étouffé la moitié de la population mal préparée à ce saupoudrage interstellaire. Les masques à gaz de 14-18 étaient knock out et ceux de 39-45 recyclés en lampes de chevet et autres babioles furieusement tendance. Ils l’avaient dit aussi à la radio : « Il fera très chaud dans les jours qui viennent, prenez vos précautions et faites des réserves d’eau potable car les nappes phréatiques risquent d’être dangereusement à sec. » Les gens ont alors commencé à stocker l’eau des robinets, des bornes à incendie et des fontaines dans tous les contenants qu’ils ont pus trouver, y rajoutant des pastilles pour la conservation qui ont elles aussi disparu du marché en quelques heures. Il n’y avait plus d’eau conditionnée nulle part à 1000 kilomètres à la ronde trois jours après. La pénurie.
En ce moment je suis dans mon bain et je me dis qu’il va falloir faire face à la dernière nuit de ma vie, aux dernières heures de mon existence pour l’heure toute ramollie dans un crachat d’eau savonneuse. Oui, c’est sûrement ça ma vie : quelques cellules qui vont, qui viennent et qui disparaissent dans l’univers. Oui, mais alors ? Vais-je sombrer dans l’indifférence et le détachement et filer sans réfléchir vers la diffraction finale énoncée tout à l’heure avec tant de professionnalisme, de rationalité et de sang-froid ou bien vais-je devoir faire face malgré tout à une angoisse atavique, à un sursaut de résistance devant ce qui de toute manière est à présent défini comme irrémédiablement inévitable. Vais-je devoir ménager ma sortie pour la rendre acceptable ?
Je suis toujours dans mon bain, je suis en week-end, il est 9 heures, j’avais prévu de « ne rien faire » aujourd’hui. Enfin ce n’est qu’une vue de l’esprit puisque « ne rien faire » signifie finalement toujours « faire quelque chose ». Mais, brisons-là ! Je n’ai aucune raison de ne pas croire ce qui est régulièrement annoncé à la radio puisque j’ai le privilège de vivre dans un siècle de grande rigueur scientifique où aucune des catastrophes naturelles, où aucun des désagréments annoncés n’ont pas eu lieu. Personne ne croyait à la grande inondation et à la grande sécheresse qui se sont succédées, comme la grande guerre et la drôle de guerre, il y a deux ans déjà. Tout le monde disait que c’était impossible, que c’était exagéré et que cette politique de prévention légèrement alarmiste était dangereuse. Maintenant, après que ces deux catastrophes écologiques et humaines aient véritablement eu lieu, plus personne ne conteste le bien fondé des informations journalières qui nous tiennent tous au courant des cataclysmes divers à travers la planète. Cette année-là, de l’eau jusqu’aux premiers étages. Tout ce qui pouvait flotter est sorti des maisons et passé par les fenêtres. Moi, je n’avais rien. Je prenais donc le bus flottant improvisé pour aller travailler et me ravitailler au marché du coin qui avait installé ses étals sur le toit de la halle couverte. Enfin quand je dis me ravitailler, tout est relatif puisque les stocks ont été vite écoulés et qu’il a fallu, parfois à coups de matraques électriques, rationner de façon draconienne les achats des consommateurs trop envieux des trop rares denrées. Un véritable état de siège ! Après l’eau ce fut le désert pendant plusieurs mois. Plus de juste milieu. Les rues ont commencé à fumer et à se fendre sous l’effet intense de la chaleur. C’était insupportable. Infernal. Beaucoup de gens étaient hagards, dans un état de grande hébétude comme s’ils n’arrivaient pas à faire redescendre la tension. On voyait même, par intermittence, la grande fracture traumatique qui fissurait dangereusement leur psychisme en détresse.
Cette fois, nous devrions littéralement exploser, à cause d’un gros caillou qui, dans le ciel, ne veut pas dévier de sa fulgurante trajectoire, malgré les coups de semonce et les avertissements musclés, ou bombés peut-être, que nous lui aurions envoyés, dans le plus grand secret. Pourquoi brusquement utiliser le « nous » ? Aurais-je eu, pour la première fois sans doute, le sentiment d’une quelconque appartenance à l’espèce générique de l’homme ? L’échéance déclenche probablement quelques mécanismes enfouis, ceux qui ne fonctionnent plus que dans les cas d’urgence ou de grande perte.
L’eau du bain s’écoule à présent peu à peu et ma peau frissonne au contact de l’air retrouvé. De petits grains apparaissent, affleurent, frémissent et disparaissent sous la chauffe énergique de la serviette, éliminant la torpeur.
Puisque je dois quitter la vie, ou plutôt m’intégrer autrement à l’univers, autant le faire calmement, entourée de gens bienveillants et avec mon bien-aimé. Nous avions convenu de nous retrouver dans cette salle, où je suis à présent, quelques heures après l’annonce radiophonique de ce matin, après cette journée « ordinaire » qui vient de s’écouler pour une soirée « extraordinaire » qui durerait presque toute la nuit. Le but était de passer ces heures ultimes dans un grand état de proximité, pour que chacun puisse se préparer à clore « ses jours » en toute conscience, pour éviter d’être « pris » par surprise. Je me rends compte que c’est finalement très compliqué et très présomptueux, non pas de vouloir mourir lucidement mais, de penser savoir à l’avance qu’on en sera capable de bout en bout avec une absolue maîtrise. J’écris a posteriori. J’ai cru moi aussi comme la plupart me réchauffer au contact des autres et, apaisée, sauter depuis le bord du précipice nocturne pour disparaître consciemment au moment choisi en toute connaissance de cause. Mais je n’ai pas pu. Au moment de mettre en acte ma décision « mûrement réfléchie», je me suis sentie envahie, transpercée, vrillée même par un froid polaire métaphore probable et anticipatrice du froid sidéral. Je me suis mise à trembler lamentablement et à serrer très fort la main fine, longue et douce de mon ami. Paralysée, au bord du gouffre, je n’ai pu esquisser le geste du plongeur qui se lance témérairement et je suis restée sur le bord de ma vie sans pouvoir plonger vers les étoiles. «Non » était devenu le mot le plus important de mon vocabulaire. Je n’entendais plus au fond de moi que ces trois lettres hurlées avec frénésie. Comme un animal hurlerait à la mort ou à la défense, je hurlais à la vie. « Non, je ne peux pas ». Non, je ne pouvais pas devancer les prévisions. Non, je ne pouvais pas me lancer avec tendresse dans le vide nocturne. Non. Je pouvais seulement, en dérivant sans doute, attendre le moment précis où tout ici disparaîtrait, où « nous » retournerions tous sans exception au Grand Rien.
Alors, voilà, en ce moment j’attends, je sais que c’est imminent, que c’est là tapi dans l’ombre de la nuit finissante et que cela arrive à toute vitesse. Je sais aussi que j’ai mal écrit prise dans le brouillard de mes émotions, mais que je n’avais pas aujourd’hui d’autres mots plus vrais, plus savants ou plus imagés. Je sais aussi que le choc et la disparition seront instantanés. C’est bien. C’est mieux. Ne pas savoir. Ne pas voir la fin arriver du fond de la nuit.
Voilà, j’y suis, le vent bouge et l’air siffle, il fait plus chaud, et…


Photographie de mhaleph

L'intrus

« Ouvrez la porte et ne dites rien ! » C’est ainsi que tout commence. Absurde ! « Ouvrez la porte ». Je n’ouvre pas la porte à tous vents. Bien sots ceux qui peuvent s’imaginer que je vais céder à cette impulsion grossière sans aucun rapport avec mon caractère si calme et si mesuré. « Ne dites rien ». Et de surcroît la parole me serait arbitrairement ôtée ! C’est absurde. De plus il est trop tôt pour exiger quoi que ce soit de qui que ce soit. Mais c’est un fait, je suis à présent réveillé. J’ai envie d’un bon petit déjeuner, de sentir une bonne odeur de café bondissante flottant d’un mur à l’autre pour mettre en œuvre mes neurones enkystés par la nuit. J’ai aussi envie de savoir qui est, là, de l’autre côté de la porte. Même si je le sais, déjà. Me le confirmer.
Suivant la géométrie persane de la carpette, j’avance progressivement, un pas après l’autre, sans me presser, puis colle avec précaution mon oreille au battant de bois froid, pavillon largement ouvert, et pupilles à présent dilatées, intensément tournées vers cette voix invisible derrière la porte.
Mais, rien. Je n’entends rien. Plus rien. Ou plus exactement personne. Plus personne. Car entendre, j’entends. Un couloir vide et noir qu’une veilleuse pâle et grise éclaire à peine avec un frôlement discret de papier de soie, que les faisceaux intermittents de l’ascenseur appelé aux étages inférieurs strient à intervalles réguliers avec un crissement de papier d’alu que l’on froisse. Rien d’autre, hormis une porte battante ouverte sur la cage d’escalier d’où s’échappe une lueur d’aube rampante, crayeuse et mal lavée. Enfin rien qui puisse me faire croire que je ne suis pas en proie, de si bonne heure, à quelque hallucination auditive, me taraudant malignement. Très bizarre de n’entendre personne alors que, distinctement, quelqu’un parlait, tout à l’heure.
J’en suis là de mes fantasques réflexions, lorsque j’entends la voix de stentor clamer derechef : « Exécutez-vous sans résistance ».
« Sans résistance » ? Suis-je donc dans l’obligation réelle, impérative, absolue, irréversible d’ouvrir cette porte. Ma porte. La mienne. Non, bien sûr, bien sûr que non ! C’est absurde. Elle semble se déformer légèrement sous l’effet d’une intense chaleur. Mais non, c’est probablement une illusion d’optique. Je vieillis et mes yeux ne me sont plus aussi fidèles. De troubles, ils deviennent obscurs et déforment les objets et les volumes autour de moi.
Je me recule d’un pas, éclaboussé soudain par une odeur caractéristique, que je suis seul à sentir et à identifier probablement. J’ai remarqué qu’ils n’avaient pas le nez très fin pour savoir qui allait par là. Ils ? Eux. Ce que je viens de vous confier doit rester entre vous et moi. Je ne voudrais pas qu’ils me prennent pour un ingrat toujours prêt à les critiquer et à faire ressortir leurs pires défauts. Je ne me plains pas, je suis logé, nourri, blanchi, soigné si besoin est et en contre partie je surveille les alentours du coin de l’œil et du bout du nez. « La belle vie ! », me direz-vous. Oui, vous avez raison. Meilleure, sans nul doute possible, que celle que j’aurais si je devais trier les restes dans les poubelles et me tapir dans quelque recoin sous quelques cartons poussiéreux, pour me protéger des regards indiscrets. Enfin, pour revenir à cette odeur, ce n’est pas la mienne et ce n’est pas la leur. J’en suis sûr. Je sais bien que je ne suis pas halluciné. Mes antennes internes me le disent, me le signalent, me le clignotent depuis ce premier cri derrière la porte : il est là, accroupi dans l’ombre, babines retroussées prêt à m’éreinter si j’ai l’imprudence de lui ouvrir. Je le sens. Je le sais. Je le vois qui surgit lentement de la banque de données de ma mémoire en alerte. Tel la vipère des sables, il attend, attend patiemment, et siffle en salivant entre les cris d’énervement qui le caractérisent lorsqu’il n’obtient pas vite et bien ce qu’il a projeté de mordre.
Prestement, je saute d’un côté de l’autre du panneau et l’ausculte de mes deux oreilles grandes ouvertes, faisant alternativement pivoter ma tête endolorie par cet exercice, pour le moins épuisant.
Une main me frôle, l’odeur du café emplit doucement l’air, je me réveille.


Photographie de mhaleph